1096.Où en est on ?
Voilà quelques jours que j'ai atteint les quarante et un ans, genre de non évènement auquel au fond de moi je n'attache guère d'importance mais qui me permettra de saoûler mon entourage proche sur le fait que je vieillis... J'ai souvent l'impression qu'il me faudrait plus d'une vie tellement mes curiosités m'emportent parfois (en fait souvent) très loin, que je m'aperçois à mon âge avancé (sic) que je suis passé à côté de choses que je trouve essentielles et que je ne découvre que maintenant. Tel est le cas de ce petit texte du philosophe Emmanuel Mounier que, à ma grande honte, je ne connaissais pas jusqu'à il y a quelques semaines. Un livre que j'ai trouvé par hasard en en cherchant un autre, ce qui m'arrive frequemment, dans les rayons "littérature africaine" de ma librairie favorite de Belleville. Texte rafraîchissant, on ne peut plus d'actualité sur les relations entre les humains, singulièrement entre Noirs et Blancs, sur le racisme ordinaire. Paru en1948, le manuscrit de Mounier analyse avec un discernement inhabituel pour l'époque (même si un Michel Leiris avait amorcé la pompe un peu avant avec "l'Afrique fantôme") l'inquiétude d'une Afrique qui ne saurait concilier richesses ancestrales et modernité, dénoncant cette élite qui serait tentée de "n'être ni vraiment africaine, ni vraiment européenne". Le bouquin de Mounier apparait ainsi comme le premier grand texte anticolonialiste publié en France. Il donne aussi des clés importantes par rapport aux débats d'aujourd'hui : pas de diabolisation de l'ère coloniale, pas de nostalgie de celle ci non plus mais au contraire une réelle écoute de l'autre, avec une grande profondeur et une rare beauté. Signalons au passage que Mounier est un des créateurs d'une célèbre revue, "Esprit", qui perdure de nos jours et dont les textes sont toujours vifs, remuants, piquants et réveilleurs de conscience.