1097.D'où je suis j'ai l'impression de tout voir
Non, je n'ai rien oublié. Ni ce que j'ai écris ici, ni ce que vous avez répondu. Je n'oublie rien du monde qui tourne avec ou sans moi. Je lis autant les journaux qu'avant. Toujours à l'écoute de l'humanité qui souffre, celle qui subit les injustices. Celle que l'on oublie peu à peu, loin de tout et surtout des caméras. Quand je me retourne sur ma vie je vois que je ne suis plus à un bouleversement près ; j'ai subi des tempêtes et quelques ouragans, ce que tout un chacun a connu dans cette condition humaine qui est la nôtre. Le jazz m'accompagne toujours, l'Afrique plus que jamais. Une vie à reconstruire, cette fois pour de bon, pour de vrai. Sans artifices, sans fards. Une vie qui pourrait bien m'emmener plus loin encore que mes rêves les plus fous. Comme un serpent abandonne sa peau sous les soleils de plomb je renais de cendres. Je pense à mon père, tous les jours, toutes les demi journées. Mon chagrin ne s'est pas calmé. Tapi dans un coin de mon corps, prêt à bondir ; à me remplir de sa masse gluante, à me bouffer de l'intérieur. Perdre un de ses parents c'est laisser tout un pan de son identité sur le bord du chemin, c'est une partie de son histoire qui disparait comme ces réacteurs de fusées qui se pulvérisent dans l'espace intersidéral. Non, je n'ai rien oublié. Ecrire pour continuer d'exister, pour prendre de la distance avec ce qui se passe ; ralentir les choses pour moins les subir, écrire pour rester debout. Je me regardais l'autre matin dans le métro, au milieu de la foule du quai pendant la grève. Je me voyais être dans la file des bestiaux du matin qui monte les escaliers pour aller prendre la correspondance. Il était tôt, tout le monde dormait plus ou moins debout. Et je me demandai quelle était cette vie étrange que je vivais, cette routine dans laquelle je ne me suis jamais senti bien. Quelle est cette vie que l'on fait subir aux pauvres hères que nous sommes, abrutis par la publicité du matin au soir, écervelés par une télévision sans consistance ; reflets d'une existence idéale que personne n'atteint, créant des frustrations à n'en plus finir qui se ressentent jusque dans nos banlieues où rien n'est réglé, où rien n'a avancé, où l'on enferme de plus en plus de gens dans l'ignorance, la lassitude, la résignation. Non je n'ai rien oublié. Ce soir là à la station République un jeune homme assis sur une couverture chantait pieds nus, une guitare à la main. Il chantait Bob Marley "No woman No cry", cheveux en locks, le regard bleu acier. Je l'ai écouté sans m'arrêter de marcher dans le couloir du métro. Je pensai à la liberté, la vraie.