1020.Une direction.
L’été est sur le calendrier mais en pratique il n’a pas encore atteint Paris. Et j’en profite : je ne l’aime pas. Je n’ai jamais aimé l’été et son cortège de jours qui rallongent, de journées bouillantes gages de transpiration excessive et gênante, de plages bondées, de laisser-aller généralisé, d’oublis de presque tout. Cette fraîcheur de fin juin sur la capitale allège un peu mes chagrins et les lourdeurs de ma vie actuelle ; je devrai écrire ma « survie ». Il fallait que je réunisse mes chemins en un seul. Non pas que je ne sois plus curieux de la vie, qu’il ne me faille qu’une route toute droite avec des œillères. Mon existence, à l’image de beaucoup d’autres, a pris une nouvelle tournure. Ou plus exactement j’ai décidé, tout seul comme un grand, de lui faire prendre une autre direction : celle que j’ai toujours voulue. Ce n’est pas rien puisqu’il s’agit d’être ce que l’on est, en s’affranchissant des conventions et autres normalisations sociales qui nous enserrent dans un carcan que l’on croit provisoire mais qui au bout du compte est définitif. Tout ceci a l’air bien banal et d’ailleurs ça l’est. Changer de vie est le rêve secret de beaucoup de gens. Cependant cela n’enlève rien à la difficulté de l’entreprise, au périlleux exercice de sa mise en œuvre. J’ai toujours eu comme ligne de conduite, entre autres, de faire coïncider ce que je dis avec ce que je pense et de le superposer avec ce que je fais. Las des apparences, des fausses valeurs, de la société outrageusement médiatique et spectaculaire. Oui, je le dis d’emblée, ce carnet sera personnel, parfois autobiographique, parfois excessivement nombriliste. Il sera aussi aux couleurs, pour celles et ceux qui me fréquentait avant, des « Chemins de poussières ». Il sera surtout le journal d’un cheminement vers un ailleurs. Un ailleurs que je ne connais pas mais que je veux atteindre. J’ai emprunté le titre de ce bloc notes à un livre de Michel Leiris. Un livre écrit alors qu’il avait trente quatre ans. Autobiographie extraordinaire d’un homme qui se regarde sans fard, qui va au fond des choses et qui ne s’épargne pas. Un livre dont on ne ressort pas indemne, de ceux qui fléchissent le cours d’une vie. Mon carnet ne fléchira aucune vie, il n’a pas cette ambition. Il ne sera, bien modestement, que le reflet de la vie d’un homme arrivé à la quarantaine sur le chemin de l’horizon.
(Photographie personnelle : la bibliothèque Francois Mitterand, un début d'après midi de l'hiver 2006)