1088.Pendant ce temps là
La mort de mon père a été un choc immense, il n'existe d'ailleurs aucun mot vraiment pour qualifier la douleur, la souffrance et le chagrin que je ressens. C'est pour cela que je n'en parle pas. Que je n'écris rien, ou presque. En moi il ne passe pas une seule demi-journée sans que l'image de ce père m'assaille, quoique je fasse et où que je sois. Elle me laisse souvent muet. L'autre nuit j'ai rêvé qu'il était vivant : il était là, devant moi ; il s'était remis de son arrêt cardiaque mais on avait du lui faire une trachéotomie et il parlait avec une voix métallique. Je ne me suis pas rappelé du rêve tout de suite. C'est en me brossant les dents le matin que les images me sont revenues en pleine mémoire. J'ai arreté net la brosse, la musique de Coltrane que j'écoute pratiquement tous les matins. Le silence s'est fait et les larmes ont coulé, presque sèches. Que dire ? Que faire ? Assis je me suis allumé une cigarette, j'ai respiré fort. Tout me semblait égal, tout me paraissait loin. Et pendant ce temps là ma mère se sent perdue. Pendant ce temps là cette femme se demande pourquoi son mari l'a laissée seule après soixante ans de mariage. Et quand je l'ai au téléphone le soir elle me dit tout son chagrin à travers ses larmes, tout ce desespoir passe à travers les lignes téléphoniques. Après avoir raccroché je suis bouleversé, j'étouffe et les rues de Paris sont sans saveur.
Pendant ce temps là.
(Photographie personnelle : la rue des Cascades, XXe arrondissement de Paris)