1026.Je vous écris d'un pays qui n'est pas le mien (2)
Ne parlons pas de cela pour le moment. Vous revoir a été
une telle joie qu’elle ne saurait être ternie, fut ce par la mort. La beauté
qui m’avait fait vous aimer est intacte, elle s’est bonifiée avec les mois qui
ont passé. Ces mois étranges que j’ai vécu au choix et selon les moments comme
dans un cauchemar ou un monde indéterminé où l’on ne sait pas ce qu’on y fait
et ce que l’on doit y faire. Des soirées qui tombaient plus vite que
d’habitude. Des jours qui semblaient plus longs que d’habitude. Des maux
étranges qui apparaissaient partout sur mon corps, maux peut être
imaginaires : les dents qui lancent, les gencives qui saignent ; un
ventre qui se réveille de manière inattendue, la tête qui va exploser, les
jambes molles et le cœur lourd. Il faut croire qu’au milieu de tout ca il n’y
avait pas que du faux, que du psychosomatique puisque j’en suis là maintenant.
Votre visage est plus que jamais pour moi ce tableau de maître dont non seulement on ne peut détacher son regard mais dont on se souvient pour l’éternité, comme ce peintre qui se nommait Whistler je crois disant à ses modèles : « regardez moi et vous regarderez pour toujours ». En tapant cette lettre sur l’ordinateur après l’avoir écrite mille fois à la main je m’aperçois qu’il y a déjà 720 mots couchés sur le papier. Cela me semble énorme. Trop. Et en même temps si peu. Faut-il tenir une comptabilité des mots ? L’amour se « gère » t-il tel un vulgaire bilan d’entreprise ? Doit-on user de pourcentages, de courbes, d’indices boursiers ? Il y a pourtant des gens, et vous le savez autant que moi Mademoiselle, qui mènent leurs sentiments comme on mène une entreprise. Pathétique.
(Photographie personnelle : Belleville, Paris, juin 2007)