1059.Un indicible espoir
Brel disait souvent que ce qui comptait dans une vie c'était son intensité, pas sa durée. Il ajoutait que l'on se posait souvent des problèmes d'immortels, alors que nous sommes de simples mortels. Sans vous parler de la pluie et du beau temps, je dois dire qu'il fait très chaud dans la partie de la France où je me trouve ; les températures nocturnes avoisinent les 22 degrés, celles de la journée atteignent les 34. Cela a son importance car les choses ne sont pas les mêmes selon les climats où elles se passent, on les ressent différemment. Quand on a perdu son père on perd en même temps une immense partie de soi, de ce que l'on est et comme me le disait une amie récemment il n'est jamais facile de se retrouver en première ligne. On se pose des tas de questions dont on a peur des réponses, on a tout simplement peur de l'avenir, de ce qui peut se passer demain. Je savais la fragilité de la vie mais finalement je n'y pensais pas. La mort de mon père m'a remis brusquement, implacablement cette évidence devant les yeux. Je l'ai vu en bonne santé dix minutes avant que l'infarctus ne vienne le terrasser, une image qui durera toute ma vie. Et puis.... et puis le temps d'aller chercher un paquet de cigarettes, un coup de fil sur mon portable et vingt minutes après un hélicoptère. Je passe les détails des évènements et les jours d'attente en réanimation. Des moments très difficiles, quasiment indicibles. Tout comme ce basculement rapide du soleil à l'obscurité, la cassure de ce fil ténu qu'est la vie. On a des problèmes qui nous empêchent de dormir, des soucis qui nous préoccupent ; des rêves qu'on hésite à réaliser, des choses que l'on ne fait pas parce que l'occasion ne se présente pas.... Et puis tout se brise d'une minute à l'autre. Une des grandes lecons que j'ai révisée ces derniers jours c'est de ne pas trop s'en faire, d'essayer de vivre le plus possible, de ne plus s'embêter pour un rien. J'ai vu la mort de près ces derniers jours, j'ai vu tous ses visages. Celui de mon père d'abord. Dans son cercueil, il avait un air apaisé malgré les produits qui lui gonflaient un peu le corps. Il avait toujours ses beaux cheveux blancs. Ses mains, et cela m'a surpris, étaient souples, comme vivantes. Ma mère a voulu qu'on l'habille d'une belle chemise blanche. Je me rappelle les couloirs de ce funérarium où j'ai croisé toutes sortes de gens, tous frappés du malheur de la perte d'un proche. Je me rappelle des cris, des larmes, des évanouissements. Je me rappelle aussi dans cette petite salle avoir pris du recul et m'être appuyé contre le mur en regardant les amis, la famille et particulièrement ma nièce et mes neveux. Ils ont tous environ 25 ans, ils pleuraient de larmes sèches, d'une douleur sans nom ; de quelque chose qui n'était pas humain. Mon propre fils de douze ans exprime un chagrin avec des mots d'adultes, réconfortant sa grand mère au téléphone plusieurs fois par jour. Ce fils m'épate.
Et puis cet espoir né de tout ce désespoir. Cet espoir sur lequel on ne peut poser aucun mot parce qu'il est au delà de notre monde visible.
(Photographie de Pierre Verger : petites filles à Cotonou, Bénin, 1948)